4 mars 2021|Actualités
Interviewé par Yulia Kriskovets
Bien-être sexuel et plancher pelvien : quel est le lien ?
Le bien-être sexuel est l’un des aspects de l’image de soi d’une personne. Certaines définitions peuvent être utiles pour discuter du lien entre le plancher pelvien et le bien-être sexuel.
Tout d’abord, la définition de l’image de soi de Moshe Feldenkrais indique que l’image de soi est composée de quatre parties : la pensée, le mouvement, la sensation et le sentiment. Chaque partie influence la façon dont vous agissez et la façon dont vous vous considérez. Chaque élément contribue à votre bien-être et peut être élargi ou réduit.
Deuxièmement, la définition de la santé sexuelle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) stipule que « la santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en relation avec la sexualité ; ce n’est pas seulement l’absence de maladie, de dysfonctionnement ou d’infirmité ». Il est intéressant de noter que la définition de la santé sexuelle de l’OMS est proche de la définition de la santé de Feldenkrais, en ce sens que la santé n’est pas simplement l’absence de maladie. La santé est une mesure de la capacité d’une personne à se remettre d’une blessure ou d’une maladie, ou de sa résilience.
Troisièmement, le plancher pelvien est impliqué dans de nombreuses fonctions : l’expression sexuelle, l’élimination, le maintien de la continence, la respiration, la gestion de la pression intra-abdominale, l’accouchement, le soutien des organes mous et l’équilibre. Le système coordonné du plancher pelvien est composé de muscles, de tissus conjonctifs, d’os, d’articulations et de nerfs. Ce système est soumis à un contrôle volontaire ainsi qu’à un contrôle réflexe et autonome. Les éléments de l’image de soi : penser, bouger, sentir et ressentir, affectent toutes les fonctions du plancher pelvien, y compris la sexualité.
J’ai développé les leçons Feldenkrais Awareness Through Movement® pour améliorer le système du plancher pelvien par des mouvements de tout le corps et une attention dirigée afin de développer la conscience de ce que la coordination du plancher pelvien ressent. Pour certains, l’objectif est d’apprendre à sentir cette musculature interne et ses connexions, pour d’autres, il peut s’agir d’apprendre à sentir ses habitudes d’utilisation. Si vous pouvez le sentir, vous pouvez mieux savoir ce que vous faites.
Au départ, je souhaitais résoudre le problème de l’incontinence urinaire qui touche 20 à 25 % des femmes. L’incontinence est plus fréquente après la ménopause, mais il y a aussi beaucoup de femmes plus jeunes qui ont des fuites d’urine involontaires lorsqu’elles rient, toussent, éternuent ou font des exercices vigoureux. J’ai commencé à enseigner ces leçons dans mes ateliers de sensibilisation à la santé pelvienne en 2003.
Après ces ateliers, les femmes ont commencé à signaler que leur activité sexuelle était devenue plus agréable, moins douloureuse, que les orgasmes étaient plus forts et qu’elles ressentaient un lien plus profond avec leur sexualité.
Certaines femmes ont demandé comment les hommes de leur entourage pouvaient bénéficier de ce travail. D’une manière générale, tout le monde est timide lorsqu’il s’agit de parler de problèmes liés au plancher pelvien, et les hommes encore plus, mais leurs partenaires intimes étaient au courant de leurs problèmes. Les hommes peuvent bénéficier d’une amélioration de la fonction du plancher pelvien afin d’augmenter le flux sanguin nécessaire à une érection forte. Cela sera également utile aux hommes souffrant d’une hypertrophie de la prostate ou se remettant d’une opération ou d’un traitement contre le cancer de la prostate.
Vous avez enregistré une série audio très populaire sur le plancher pelvien. Qu’est-ce qui vous a incité à travailler sur le plancher pelvien ?
J’ai commencé à étudier le plancher pelvien et les moyens d’en améliorer le fonctionnement en 1992. J’avais développé un problème personnel d’incontinence d’effort qui semblait s’aggraver un peu plus chaque année, même si je faisais des dizaines d’exercices de Kegel traditionnels tous les jours. J’avais terminé ma formation Feldenkrais® en 1987 et je ne me souviens d’aucune mention du plancher pelvien ou de leçons traitant de problèmes qui sont plus familiers aux femmes, mais qui peuvent également affecter les hommes et les enfants. Je ne comprenais pas pourquoi je souffrais d’incontinence et pourquoi je n’arrivais pas à améliorer ma situation. J’avais des facteurs de risque d’incontinence : deux accouchements vaginaux avec déchirure, en 1980 et 1985, et une chirurgie abdominale en 1963,
J’ai également eu plusieurs clientes qui m’ont dit qu’elles savaient que leurs articulations sacro-illiaques (SI) étaient « hors d’usage » parce qu’elles avaient des fuites d’urine. J’étais curieuse de connaître la relation entre l’articulation sacro-iliaque et l’incontinence et j’ai commencé à étudier les relations anatomiques entre les os du bassin, les muscles, les tissus conjonctifs et les habitudes d’utilisation.
Mon travail sur le plancher pelvien a été influencé par plusieurs facteurs importants. En 1992, mon collègue australien, qui est aujourd’hui mon mari, m’a parlé des leçons que Judy Pippen et Barbara Bell avaient développées dans leur série From Prolapse to Power et il m’a rappelé la série Sphincter de Ruthy Alon (Ruthy Alon est une formatrice Feldenkrais qui a travaillé avec Moshe Feldenkrais). L’exploration de ces leçons a soulevé encore plus de questions sur la façon dont le plancher pelvien fonctionnait en tant que système et se coordonnait avec l’ensemble du corps en action, et sur la meilleure façon de promouvoir la prise de conscience de cette partie du corps. Je me suis rendu compte que le système du plancher pelvien ne se limite pas aux muscles profonds du bassin.
J’ai suivi plusieurs cours avec des physiothérapeutes spécialisés dans la santé des femmes pour apprendre ce qu’ils faisaient. J’ai découvert que pour chaque exercice utilisé par les kinésithérapeutes, il existait une leçon d’éveil au mouvement qui permettait de le réaliser mieux et d’aider les gens à améliorer leur capacité à sentir et ressentir le plancher pelvien.
J’ai commencé à explorer les leçons d’éveil au mouvement qui facilitaient en particulier une meilleure coordination des composantes du système du plancher pelvien, c’est-à-dire les abdominaux profonds, les muscles profonds de la colonne vertébrale, les rotateurs de la hanche, le diaphragme respiratoire ainsi que les muscles du plancher pelvien. J’ai appris que l’amélioration des muscles auxiliaires du système, tels que les adducteurs de la hanche et les fessiers, pouvait être utile pour obtenir un tonus plus normal du plancher pelvien, que la personne soit hypotonique (en sous-contraction) ou hypertonique (en sur-contraction).
J’ai testé mon hypothèse en utilisant un capteur de pression vaginale interne pendant que j’explorais divers cours d’éveil par le mouvement pour trouver la réponse de mon plancher pelvien. J’ai lu des articles de recherche fascinants sur la relation entre le dysfonctionnement du plancher pelvien et les douleurs dorsales, l’équilibre, la respiration et d’autres fonctions de base. J’ai utilisé l’imagerie par ultrasons pour observer l’effet de différentes images et de différents mouvements sur l’action de levage de mon plancher pelvien.
J’ai utilisé toutes ces données pour construire des leçons de sensibilisation par le mouvement qui conviendraient à tout le monde, sachant que les personnes souffrant d’un dysfonctionnement du plancher pelvien peuvent également avoir d’autres problèmes tels que des douleurs dorsales, des chirurgies abdominales, des problèmes d’équilibre, des prothèses de hanche, être déconditionnées, en surpoids, et avoir une sensation ou une conscience diminuée des organes génitaux, etc. Mes critères pour les leçons étaient qu’elles soient faciles à réaliser, qu’elles se concentrent sur la qualité de la coordination des mouvements, qu’elles n’augmentent pas les douleurs dorsales ou autres, et qu’elles améliorent la prise de conscience de la réponse du plancher pelvien dans les actions quotidiennes.
Lorsque je donne des cours et des ateliers sur le plancher pelvien, je les rends très neutres afin de créer un sentiment de sécurité et d’inclusion des genres. C’est particulièrement important pour les personnes qui ont subi un traumatisme sexuel. Je suis consciente qu’il faut choisir un langage moins déclencheur, car les gens sont déjà gênés par des problèmes tels que la douleur, les fuites, la constipation ou l’incapacité à avoir des orgasmes.
J’ai commencé à animer des ateliers de sensibilisation à la santé pelvienne pour les femmes en 2003, puis j’ai ajouté des ateliers mixtes. J’ai exploré les leçons de ces premiers ateliers et lorsque j’ai été satisfaite des résultats obtenus par mes élèves, j’ai enregistré le programme sous le nom de Santé et conscience pelviennes pour les femmes et les hommes. J’ai utilisé ce programme en 2009 pour mon projet de recherche de doctorat en physiothérapie et j’ai prouvé que le programme était efficace pour les femmes souffrant d’incontinence légère à modérée. En 2020, pendant la pandémie, j’ai développé le matériel avec deux nouveaux cours en ligne sur MovementandCreativity.com.
Je suis certaine de suivre l’héritage de Moshe Feldenkrais en concevant des leçons pour améliorer la fonction du plancher pelvien. J’ai appliqué les principes de l’apprentissage et de la prise de conscience pour améliorer ma propre santé et celle des autres. J’ai utilisé la recherche scientifique disponible pour créer des leçons qui fonctionnent avec le système du plancher pelvien et qui impliquent des aspects de l’ensemble du moi. J’ai souvent dit que si Moshé avait été une femme et avait fait sortir un bébé de son corps, elle aurait développé des leçons pour restaurer la fonction du plancher pelvien, tout comme Moshé, l’homme, a conçu des leçons pour améliorer ses genoux, ses yeux, les mains de son chirurgien, et bien d’autres choses encore.
Quels sont les mythes les plus courants concernant le plancher pelvien et ses fonctions ?
Premier mythe : le plancher pelvien agit seul et fonctionne indépendamment de l’ensemble du système d’action du corps. Ce n’est pas vrai. Des recherches approfondies menées dans le laboratoire de Paul Hodges et de Ruth Sapsford en Australie démontrent clairement la relation synergique avec les abdominaux et les autres groupes musculaires du système du plancher pelvien. Pourtant, certains éducateurs du mouvement et prestataires de soins de santé continuent de dire aux gens de n’isoler et de ne contracter que les muscles du plancher pelvien, comme les exercices de Kegel traditionnels, sans tenir compte de l’ensemble du modèle synergique et coordonné.
Deuxième mythe : pour renforcer le plancher pelvien, il faut s’entraîner à arrêter l’écoulement de l’urine plusieurs fois pendant la miction. C’est une habitude néfaste qui peut entraîner davantage de problèmes de continence, car elle interfère avec la relation réflexe entre le plancher pelvien et la vessie. Le plancher pelvien se détend et la vessie se contracte. Faire pipi est une activité parasympathique. Nous pouvons uriner confortablement en nous asseyant, en nous relaxant et en laissant la vessie faire le travail. Je déconseille de « faire pipi en puissance », c’est-à-dire de pousser l’urine vers l’extérieur. Il faut détendre le plancher pelvien pour uriner. Les hommes aussi peuvent trouver utile de s’asseoir pour uriner et de laisser l’urine s’écouler. Il n’y a pas de mal à expérimenter de temps en temps pour voir si vous pouvez vous arrêter au milieu du jet, car cela démontre une réaction forte et saine, mais ne le faites pas tous les jours ou à chaque fois que vous urinez.
Troisième mythe : L’incontinence est une conséquence normale du vieillissement. La recherche montre que les personnes de tous âges peuvent améliorer leur capacité à rester au sec. Malheureusement, ce mythe est bien vivant. L’incontinence est l’une des principales raisons pour lesquelles une personne se rend dans une maison de retraite.
Quatrième mythe : la seule façon de traiter la dysfonction érectile est de prendre des médicaments. La recherche montre que les exercices du plancher pelvien peuvent être aussi efficaces que le Viagra pour augmenter le flux sanguin vers le pénis et donc aider les hommes à obtenir et à maintenir une érection.
Cinquième mythe : la satisfaction sexuelle est le résultat de la force du plancher pelvien. Ce n’est pas vrai. Les sensations sexuelles, le plaisir et la satisfaction sont le fruit de plusieurs systèmes, mais surtout de l’esprit – les pensées, les sentiments et l’image que l’on a de soi.
Y a-t-il des leçonsFeldenkrais® que vous avez rencontrées qui ont un impact puissant sur le plancher pelvien ?
Oui, il y a beaucoup de leçons qui ont un impact puissant. Il est important de considérer non seulement ce que l’on fait, mais aussi comment on le fait, la qualité du mouvement, la respiration continue et les suggestions de prise de conscience fournies par l’enseignant. Une fois que l’on a pris conscience du plancher pelvien, on peut le sentir dans la plupart des leçons, en particulier celles qui explorent la rotation de la colonne vertébrale pour les torsions, les flexions latérales, le soulèvement de la jambe supérieure en position couchée sur le côté, la position assise sur une chaise et le déplacement du contact des os pelviens. Il existe de nombreuses variantes de ce type de leçons. Il y a le besoin de leçons pour explorer la liberté des hanches, de la colonne vertébrale et de la respiration afin de trouver plus de confort dans les positions utilisées pour l’activité sexuelle. Il y a aussi les leçons qui aident à être plus à l’aise dans les positions sexuelles.
Bien sûr, il faut pouvoir sentir le plancher pelvien. Pour ce faire, chaque personne se trouve à un endroit différent sur le continuum de la prise de conscience. Certains peuvent avoir besoin de cours classiques pour apprendre à sentir et à ressentir le corps dans son ensemble, pour développer leur sensibilité et leurs capacités sensori-motrices. Je pense que les enseignants Feldenkrais peuvent ajouter des indications sur la prise de conscience du plancher pelvien. Dans certaines leçons de Feldenkrais, il demande aux élèves de sentir entre les jambes. Son livre, The Potent Self, est une excellente ressource.
Cette liste de suggestions n’est pas exhaustive. En travaillant avec un élève et avec moi-même, je pourrais probablement créer 30 autres leçons qui permettraient d’améliorer les fonctions qui impliquent le plancher pelvien.
Comment parler du vieillissement et de la sexualité ?
Vous apprendrez que, comme toute autre fonction, la sexualité évolue avec le vieillissement. On peut avoir besoin de plus de temps, de différentes façons d’explorer avec soi-même ou avec un partenaire, ou devoir faire face à des limitations physiques ou à des douleurs. Toutefois, le désir ne disparaît pas nécessairement avec l’âge. Cet article de Harvard Healthexplore ce sujet en profondeur et j’en recommande la lecture.
Les leçons Feldenkrais pour les personnes âgées peuvent aider à retrouver des sensations agréables dans le corps, à améliorer l’utilisation des articulations et des muscles, à apprendre à être plus à l’aise dans un plus grand nombre de positions, et dans le plancher pelvien, à maintenir les muscles dans un état sain, prêts à fonctionner pour toutes les utilisations du système du plancher pelvien. Les effets positifs sur l’image de soi se font sentir tout au long de la vie. D’après mon expérience, ce sont les changements d’attitudes, d’habitudes et de mouvements résultant des leçons d’éveil par le mouvement qui favorisent le bien-être sexuel à tout âge.
À propos de Deborah :
Deborah Bowes DPT est formatrice Feldenkrais® et physiothérapeute à San Francisco. Elle enseigne dans le cadre de programmes de formation Feldenkrais aux États-Unis et à l’étranger. Elle est membre auxiliaire du corps enseignant de l’université de Saybrook. Ses recherches doctorales ont porté sur l’utilisation des leçons d’Awareness Through Movement ® pour améliorer la santé pelvienne. Elle peut être contactée à l’adresse info@feldenkraisSF.com.
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